La Maison de Tunisie à Paris a le plaisir de vous présenter conférence "IBN KHALDOUN ET SES LECTURES CONTEMPORAINES" présenté par Professeur GABRIEL MARTINEZ-GROS
Introduction de professeur Lucette Valensi
M. Martinez-Gros : Professeur d'histoire médiévale à l'université de Nanterre et ancien co-directeur de l'institut de l'islam et des sociétés musulmanes à l' EHESS
Samedi 21 Avril 2018, à la Fondation de la maison de Tunisie
suivi d'une séance de signature de l' Appel pour l’inscription de la Muqaddima sur le registre de la Mémoire du Monde
Ibn Khaldun et la Muqaddima (1332-1406)
A l’apogée de la domination européenne sur le monde, Arnold Toynbee reconnaissait cependant chez l’Arabe Ibn Khaldoun le plus vaste et le plus audacieux théoricien de l’histoire aux côtés des grandes figures de la modernité, Montesquieu ou Marx. Traduit par fragments dans les langues européennes au début du XIXe siècle, son texte majeur, la Muqaddima (‘Introduction’ à son Histoire universelle) inspira une large part des recherches, voire des pratiques, du temps de la colonisation sur l’Islam, du Maghreb à l’Inde.
Etrange destin pour un lettré de haute naissance que tout semblait destiner au confort matériel et intellectuel des allées du pouvoir. Mais la peste frappe Tunis, sa ville natale, en 1348. Elle extermine les siens, le jette dans l’exil, d’où il ne sortira plus jamais, de Fès et de Tlemcen au Caire et à Damas, toujours suivi par sa fidèle compagne l’épidémie. Il meurt au Caire en 1406 dans la décennie des pires répliques du fléau en Egypte. La Muqaddima est sans doute la seule réponse intellectuelle qu’ait reçu la Peste, la plus intrépide riposte de la pensée face à une maladie alors toute-puissante. L’énorme crise que suppose la disparition de 20 à 30% de l’humanité méditerranéenne en un siècle révèle au génie de ce grand administrateur les ressorts essentiels de l’Etat et de la civilisation, tout comme un appareil fracassé laisse voir ses mécanismes brisés. Tout dépend du nombre des hommes, de leurs regroupements urbains, de la concentration et de la synergie des demandes et des compétences. Or cette mobilisation dépend de l’Etat, de la coercition qu’il est seul en mesure d’imposer, de la violence même qu’il doit quérir à ses marges belliqueuses.
Personne, avant la Muqaddima, pas même les fondateurs grecs de l’Histoire, n’avait ainsi lié le politique - le propre de l’Etat - à l’organisation de la ville, des métiers, des gains de productivité, en bref à tout ce que nous plaçons aujourd’hui sous les chapitres de l’économie ou de la sociologie. Mais personne non plus, bien avant Hobbes et Machiavel, et bien plus profondément qu’eux, n’avait ainsi affirmé qu’au berceau de la civilisation la plus haute et la plus exigeante, il y avait inévitablement la violence ; mais qu’inversement, il n’était pas de violence qui n’ait en vue les grandeurs pacifiques de la civilisation, et qui ne les accroisse en s’accomplissant. Sœur spirituelle de l’œuvre de Freud dans ces paradoxes de la violence et du désir, la Muqaddima présente comme elle la figure rare d’une de ces pensées de la défaite qui fait avancer l’humanité.
Cette œuvre du génie humain mérite d’être inscrite sur le registre de la Mémoire du Monde
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