Je savais que cette mission ne pouvait pas réussir. En tous les cas pas réussir pleinement. Peut-être eût-ce été trop insolent ? Et alors ?
Retour du Yémen avec un sentiment d’échec, une colère. Parce qu’au dernier jour du voyage, en passant par le col de Sumarah (2800 m environ) qui était si j’ose dire le point culminant de la mission et alors que depuis des mois j’avais insisté en disant que tout serait raté si je ne pouvais pas m’y arrêter et prendre le temps de la recherche, on ne m’a pas donné le droit de sortir de la voiture. Qui, du reste, ne s’est arrêtée quelques instants que pour que l’on m’explique que si j’insistais encore j’allais tout droit au poste de police du coin.
Des postes de police j’en avais visité un quelques jours plus tôt. C’était l’autre étape décisive du séjour : les montagnes d’Haraz pour rechercher l’aeonium leucoblepharum yéménite. Je reviendrai là-dessus plus tard. Là encore, entre Manakhah et Kahel et alors que je marchais sous « bonne » escorte pour mes recherches, on m’intime l’ordre de tout cesser et de redescendre aussitôt à Manakhah. J’ai désobéi, absolument furieux. Je suis parti plus haut dans les rochers en les traitant de tous les noms d’oiseaux mais je sentais que je ne devais pas aller trop loin. Pour ne pas être tiré comme un lapin. Et surtout pour ne pas être conduit illico en prison ou à l’aéroport.
Je descendis des rochers. On me conduisit au poste. Leur comédie dura un bon moment. Je décidai alors de ne plus parler du tout et d’entamer une sorte de grève de la faim en guise de protestation. Par chance ça leur a fait un peu peur. Si le premier « touriste » qui vient dans le nord du Yémen depuis 2014 raconte que tout a été horrible, ça ne va pas faire joli sur le tableau. Je passai la nuit dans une froide chambre aux vitres brisées, muni de l’une de ces horribles couvertures synthétiques à fleurs arrivées de Chine il y a vingt-cinq ans et jamais nettoyées depuis. Et au presque froid petit matin on me fit tout de suite comprendre - histoire que j’accepte de prendre une sorte de petit-déjeuner - que j’étais autorisé à effectuer ma recherche en tout début de journée dès lors que ça prenait le moins de temps possible et que je restais en permanence sous leur regard.
Cette recherche fut un succès et grâce à cela je ne rentre pas totalement désespéré. Pas totalement.
Entre la ville d’Aden, sur le Golfe auquel elle a donné le nom, et Sanaa la capitale (mais la capitale de quoi puisqu’il y a actuellement au minimum deux Yémen qui en plus sont en guerre, ou alors il n’y a plus de Yémen du tout puisque les pays voisins ou presque voisins s’en sont partagé le territoire), entre ces deux villes ce sont environ 300 kilomètres en temps normal. Mais le temps normal ça fait longtemps dans le coin qu’on ne sait plus ce que c’est. Alors on ne compte plus en kilomètres ni même en temps. On ne sait jamais quand on arrivera, on ne sait pas si on arrivera. Les routes sont subitement coupées par une attaque ou je ne sais quel autre événement propre à la guerre, à la sale guerre. Pour aller d’Aden à Sanaa ou dans le sens inverse, peu importe, on compte en check-points et en dollars. En check-points on en dénombre à peu près jusqu’à 120 sur la route quand tout va bien. Et on ne sait jamais trop lesquels sont tenus par les rebelles « normaux », ceux qui ont de facto pris le pouvoir ou par telle tribu qui a besoin de se remplumer en imposant sa taxe à tout véhicule qui veut aller plus loin. On compte aussi en dollars alors qu’il n’est pas du tout habituel dans le pays de payer autrement que dans la monnaie locale, le riyal. Mais ça coûte tellement cher de prendre un taxi, plusieurs centaines de dollars, qu’on ne parle pas en riyals. Et si on a une voiture particulière on n’a pas le droit de la prendre pour faire cette route. Seules quelques compagnies de taxis sont habilitées et en font leur miel avec tout la dose de corruption qui convient.
La suite du récit se trouve sur la page Facebook de la ferme botanique.
Негізгі бет Mission botanique au Yémen
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